Au-delà des chiffres : l’évolution des priorités du Canada en matière d’immigration

2025 a été une année charnière pour le Canada, à commencer par l’annonce de la démission du premier ministre Justin Trudeau en janvier après plus d’un an de bouleversements politiques rapides et de mécontentement grandissant des administrés. De nouvelles difficultés comme le refroidissement des relations entre le Canada et les États-Unis et les incertitudes économiques, ont remis en cause le rôle que pourraient jouer l’immigration et la reconnaissance des contributions des immigrants au marché du travail dans un contexte de réajustement du marché du travail. Comme en 2024, l’immigration devrait rester l’un des principaux sujets des débats publics au Canada cette année, alors que le gouvernement doit composer avec des priorités changeantes et les prochaines élections fédérales.
Le Plan des quotas d’immigration 2025-2027, que le gouvernement canadien a publié fin octobre 2024, a marqué l’un de ces changements. Contrairement aux plans précédents, qui augmentaient régulièrement les objectifs d’immigration, ce dernier plan réduit drastiquement le nombre cible d’admissions de résidents permanents (RP). Ce plan sur les niveaux d’immigration a également fixé pour la première fois des cibles pour les admissions de résidents temporaires (RT), alors que le gouvernement fédéral s’efforce de réduire le nombre actuel de résidents temporaires.
Il est capital d’appréhender le contexte de ces changements afin d’orienter les débats sur l’avenir de la politique d’immigration du Canada, et ce au-delà des chiffres.
Pressions économiques et politiques
L’immigration au Canada a augmenté après la pandémie alors que le gouvernement prenait des mesures face aux besoins du marché du travail et aux pressions démographiques, comme le vieillissement de la population, les taux de retraite élevés et les taux de natalité historiquement bas. Les nouveaux immigrants ont été envisagés comme une solution à ces défis démographiques et économiques.
Néanmoins, cet afflux post-COVID-19 a coïncidé avec d’autres pressions économiques et démographiques, notamment la crise du logement et un nombre accru de nouveaux arrivants, qui ont contribué à des inquiétudes grandissantes de l’opinion publique en ce qui concerne les niveaux d’immigration. Les sondages de fin 2024 indiquent que 65 % des Canadiens estiment que les objectifs d’immigration précédents étaient trop élevés, tandis que 78 % sont convaincus que ces objectifs ont conduit à la pénurie de logements.
En parallèle, des barrières systémiques empêchent de nombreux immigrants d’accéder à des carrières où ils pourraient pleinement exploiter leurs compétences, leurs formations et leur expérience. Ces barrières ont complexifié l’atteinte de l’objectif d’une immigration accrue (renforcer la main-d’œuvre) mettant en lumière une déconnexion entre la politique d’immigration et l’intégration économique.
La conjoncture au Canada, marquée par de grandes incertitudes politiques et économiques, a d’autant plus amplifié ce défi d’actualité et il est désormais plus vital que jamais que les immigrants soient en mesure de tirer pleinement parti de leurs compétences et de leur formation.
Plan d’immigration 2025-2027 : principaux changements
Le dernier Plan des niveaux d’immigration décrit les priorités et les ajustements spécifiques à la stratégie d’immigration du Canada, traduisant les changements en matière d’admissions de résidents permanents et temporaires. Les voici en quelques mots :
- Réduction des admissions de résidents permanents et temporaires : une diminution de 19 % des admissions de résidents permanents de 2024 à 2025, ainsi qu’une baisse des admissions de résidents temporaires, dont étudiants internationaux
- Préférence pour des demandeurs déjà présents au Canada : au moins 40 pour cent des admissions de résidents permanents en 2025 concerneront des personnes séjournant déjà au Canada à titre de résidents temporaires
- Priorisation des professions en demande : l’accent est mis sur les parcours pour travailleurs dans des secteurs clés tels que les soins de santé et les métiers spécialisés
- Hausse de l’admission des candidats francophones : poursuite des initiatives visant à stimuler l’immigration francophone hors Québec, avec des objectifs passant de 6 % en 2024 à 10 % d’ici 2027
LÉGENDE : comparé aux objectifs d’immigration précédents, le nouveau plan de niveaux réduit considérablement les objectifs attendus pour les nouveaux résidents permanents.
Catégorie | 2023* | 2024** | 2025*** | 2026*** | 2027*** |
Économique | 266,210 | 281,135 | 232,150 | 229,750 | 225,350 |
Famille | 106,500 | 114,000 | 94,500 | 88,000 | 81,000 |
Réfugiés et personnes protégées | 76,305 | 76,115 | 58,350 | 55,350 | 54,350 |
Humanitaire, équité et autres considération | 15,985 | 13,750 | 10,000 | 6,900 | 4,300 |
Pourcentage global d’admissions de résidents permanents francophones hors Québec | Non quantifié dans le plan des niveaux | 6% | 8.5% | 9.5% | 10% |
Nombre total d’admissions de résidents permanents prévues | 465,000 | 485,000 | 395,000 | 380,000 | 365,000 |
*Plan des quotas d’immigration 2023-2025
**Plan des quotas d’immigration 2024-2026
***Plan des quotas d’immigration 2025-2027
En dépit des réductions appliquées aux quatre catégories d’immigration, la représentation proportionnelle de chacune au sein du total restera globalement stable de 2024 à 2025. La classe économique continuera de représenter la plus grande part, à 59 pour cent des résidents permanents en 2025.
Le nouveau plan de niveaux diminue également chaque année les cibles de nouveaux résidents temporaires.
Catégorie | 2025* | 2026* | 2027* |
Programme de mobilité internationale | 285,750 | 128,700 | 155,700 |
Programme des travailleurs étrangers temporaires | 82,000 | 82,000 | 82,000 |
Total des travailleurs | 367,750 | 210,700 | 237,700 |
Étudiant | 305,900 | 305,900 | 305,900 |
Nombre total d’admissions de résidents temporaires prévues | 673,650 | 516,600 | 543,600 |
*Plan des quotas d’immigration 2025-2027
Ces objectifs s’alignent sur les changements de politique mis en place en 2024, notamment les plafonds sur les demandes de permis d’étudiant international et les paramètres plus restrictifs du Programme des travailleurs étrangers temporaires. D’ici 2027, les résidents temporaires ne devraient pas représenter plus de 5 pour cent de la population totale, en baisse par rapport aux 6,2 % de 2023.
Vers un meilleur dialogue : valoriser les talents des immigrants au Canada
À l’approche des élections fédérales au Canada, qui devraient se tenir dès mai 2025, la question des quotas d’immigration promet de rester au cœur des discussions et pourrait être source de tensions. Toutefois, se concentrer uniquement sur le nombre de nouveaux immigrants risque d’occulter l’étude de questions plus préoccupantes. Alors que tous les Canadiens sont confrontés à des difficultés financières, les nouveaux arrivants sont souvent plus durement touchés. Comparé aux taux de chômage de l’ensemble des Canadiens (6,6 pour cent), les taux actuels sont particulièrement élevés chez les immigrants (11,1 pour cent). Les jeunes immigrants sont encore plus mal lotis, affichant un taux de 22,8 pour cent.
En outre, de nombreux immigrants sont également en situation de sousemploi : moins de la moitié (47,2 pour cent) des immigrants récents travaillent dans le même secteur qu’avant leur migration. Les coûts de ce sous-emploi (également connu sous le nom de surqualification) sont élevés, et pas que pour les immigrants à proprement dit. En effet, comme le souligne une publication de décembre 2024 du C.D. Howe Institute, les coûts au sens large comprennent « une baisse des dépenses de consommation, une diminution des recettes fiscales potentielles, une pression accrue sur les programmes sociaux et une contrainte supplémentaire sur les finances publiques ».
Les auteurs de l’article, Parisa Mahboubi et Tingting Zhang, citent Reitz et al. (2014), qui « a estimé le coût économique de la surqualification des immigrants à environ 4,8 milliards de dollars en 1996, avant d’atteindre 11,4 milliards de dollars en 2006 (en dollars de 2011). Face à un niveau d’immigration accru aujourd’hui, cette perte est probablement bien plus conséquente. » Ils ont ajouté que « l’amélioration de la surqualification des immigrants est primordiale pour favoriser la croissance économique et améliorer le niveau de vie des Canadiens. »
Ces répercussions, ressenties à la fois par les immigrants et par la société canadienne en général, font que les décideurs politiques et d’autres acteurs doivent pousser les débats au-delà du nombre d’immigrants admis afin d’aborder le thème d’inclusion à l’économie. Les quotas d’immigration à eux seuls ne garantissent pas la prospérité économique, ni la satisfaction des besoins du marché du travail. Surtout face à la conjoncture, le Canada ne peut pas se permettre de négliger les compétences des immigrants, les décideurs politiques devant en faire davantage pour garantir que les immigrants déjà présents puissent exploiter pleinement leur formation et leur expérience.
En permettant à des immigrants de travailler dans leur domaine, le Canada serait mieux outillé pour faire face à des enjeux persistants, notamment les pénuries de main-d’œuvre qualifié, la productivité historiquement faible, la stagnation de la croissance économique et les incertitudes économiques liées aux relations tumultueuses entre le Canada et les États-Unis. Libérer le plein potentiel des talents des immigrants n’est pas qu’une opportunité, c’est une nécessité pour la prospérité du Canada.